Le Grand témoin

Avec régularité, la FEDE vous propose, via son site, de partir à la rencontre d’une personnalité occupant un rôle majeur dans l’enseignement, l’éducation, la formation ou la construction européenne.   

Catherine Lalumière : «Nous avons plus que jamais besoin de l’Europe.»

Catherine Lalumière a été à plusieurs reprises, députée et ministre ; elle a occupé les fonctions de secrétaire générale du Conseil de l’Europe et de vice-présidente du Parlement européen. Elle préside actuellement la Maison de l’Europe de Paris, la Fédération française des maisons de l’Europe, le Relais Culture Europe ainsi que l’association européenne des écoles d’études politiques du Conseil de l’Europe. Dans l’interview ci-dessous, elle répond à nos questions.

Dans un article publié dans la revue Après-Demain (« L’éducation à la citoyenneté européenne »)[1] ; vous écrivez : « Qui sait dans un pays comme la France (par exemple) qu’il est citoyen européen ; qui sait quels sont ses droits et ses devoirs » ? Poseriez-vous la même question aujourd’hui ?

Malheureusement oui. Depuis que j’ai fait ce triste constat en 2013, la situation n’a pas changé. Rares sont les personnes en France, mais sans doute aussi dans les autres pays européens, qui savent qu’ils sont citoyens européens et que cela leur donne des droits, mais aussi des devoirs. La citoyenneté reste une inconnue. De même, le sentiment d’appartenance à une communauté de valeurs européennes n’est guère ressenti. D’ailleurs, rares sont les personnes qui savent quels sont ces droits, quels sont ces devoirs, quelles sont ces valeurs.

Que proposez-vous pour renforcer la connaissance desdits droits ?

En effet, la connaissance de ces droits, de ces devoirs, de ces valeurs est une priorité. La connaissance ! Tout le monde doit « s’y mettre » : les familles qui éduquent leurs enfants, les associations à vocation culturelle ou sociale, les associations plus particulièrement chargées de bien connaître la construction européenne, etc. Mais l’acteur le plus important pour transmettre les connaissances en matière de citoyenneté reste l’École avec un grand E. Former les citoyens (citoyens nationaux et citoyens européens) est de la responsabilité des établissements d’enseignement et d’éducation. Pour bien faire, il est indispensable qu’il y ait des cours d’instruction civique à côté des remarques qui peuvent être formulées dans tous les autres cours (histoire, langue, etc.).

D’une manière générale, n’est-ce pas toutes les affaires européennes qui souffrent de cette méconnaissance ?

Vous avez raison. Aujourd’hui encore les questions européennes sont fort mal connues. Certes, ces questions sont souvent complexes et toutes ne sont pas accessibles à tout le monde. Mais on aurait pu faire des efforts pédagogiques pour sélectionner les connaissances essentielles, notamment celles qui permettent de comprendre le sens du projet européen lui-même, pourquoi l’on s’est lancé dans cette aventure après 1945, pourquoi au XXIème siècle, nous avons encore et plus que jamais besoin de l’Europe.

Ne faudrait-il pas davantage insister sur le sens de la construction européenne à l’heure de la mondialisation plutôt que sur une connaissance un peu abstraite des questions européennes ?  

J’ai devancé ci-dessus votre question. Certes, les institutions européennes interviennent dans beaucoup de domaines, prennent d’innombrables décisions, et il est impossible de tout connaître et de tout maîtriser. Mais l’ensemble du public, les citoyens, doivent connaître et comprendre l’essentiel. J’évoquais le sens du projet lui-même afin de répondre à la question « pourquoi s’être lancé dans cette aventure ? ». Je peux ajouter qu’il faudrait aussi comprendre que ce projet n’est pas seulement d’ordre économique (un grand marché commun, une monnaie commune…), mais qu’il est d’ordre culturel et spirituel. Il repose sur des valeurs, sur une conception de l’Homme dans la société. Le projet européen n’est pas neutre. Il repose sur des choix que l’on peut approuver ou réprouver. Ainsi, on peut approuver et même chaleureusement, les valeurs humanistes et démocratiques, et prendre ses distances par rapport à des choix économiques considérés comme trop libéraux. Mais tout cela implique, évidemment, que les citoyens soient formés et informés pour être en mesure de juger et de critiquer en connaissance de cause.

Mais, en définitive, je reste optimiste. Je suis convaincue que l’on pourra réconcilier l’Europe avec les citoyens. Un exemple récent qui m’a fait grand plaisir. C’est en Roumanie. J’ai connu ce pays après la chute du Mur de Berlin et la mort du dictateur roumain Ceausescu. Dès les premiers pas de la démocratie dans ce pays, la corruption a été la gangrène qui s’est répandue dans la classe politique et a freiné les progrès. Mais, tout récemment, la jeunesse a commencé à se mobiliser. D’énormes manifestations ont été organisées contre les scandales de la corruption, pour que les valeurs européennes puissent – enfin – être respectées dans ce pays. Ces jeunes manifestants roumains apportent une formidable espérance.

[1] In « Après demain « la revue trimestrielle de la fondation Zeligman, revue fondée en 1957 par un groupe de la ligue des droits de l’homme et animée initialement par Françoise Zeligman. Le but de la revue est d’aider celles et ceux qui souhaitent comprendre les enjeux contemporains et ceux qui sont en charge de les expliquer (professeurs, éducateurs, hommes politiques…).

Portrait de Catherine Lalumière: Présidente de la Maison de l’Europe de Paris,
Ancienne ministre, Secrétaire générale du Conseil de l’Europe de 1989 à 1994

Catherine Lalumière, Docteur en droit et Maître de conférences des Universités, préside, depuis 2003, la Maison de l’Europe de Paris et, depuis 2008, la Fédération Française des Maisons de l’Europe (FFME). Elle fut également vice-présidente du Mouvement européen international. Son action et son engagement se tournent depuis de longues années en faveur de la construction européenne.

Engagée en politique en tant que députée de la Gironde de 1981 à 1989, elle s’est fait connaître au niveau national lors de son entrée dans le gouvernement Mauroy en 1981 suite à l’élection de François Mitterrand à la présidence. Elle y occupe brièvement le Ministère de la Fonction publique avant d’être nommée à la Consommation. C’est en 1984 que sa carrière prendra une dimension européenne puisqu’elle est choisie pour remplir la fonction de Secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes au sein du gouvernement Fabius. Ce poste l’amène notamment à signer les Accords de Schengen pour la France en 1985.

En 1986, elle quitte le gouvernement puis devient Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe en 1989, poste qu’elle occupe pendant cinq ans. A la fin de son mandat, en 1994, elle est élue députée européenne et, à ce titre, rejoint le Parlement européen. Réélue en 1999, elle sera également choisie pour assurer la vice-présidence du Parlement européen entre 2001 et 2004.