Docteur en sociologie, directeur d’études au sein du cabinet Eranos, membre du Comité d’experts de la FEDE, Antony Mahé réfléchit sur les liens entre l’intelligence artificielle et l’éducation

Quels sont les apports éducationnels de l’IA ?

En tant que sociologue spécialiste de l’économie numérique, je suis assez sceptique sur ces supposés apports. Toutefois, je relève quelques promesses intéressantes concernant la fonction « adaptive learning », c’est-à-dire la prise en compte par l’IA du rythme d’apprentissage et du niveau de chaque apprenant. Il y a également une promesse de prédiction des risques de décrochage scolaire qui ne peut pas laisser indifférent face à ce problème majeur.

Quelles sont les limites d’une telle utilisation ? 

Un des problèmes majeurs concerne la (sur)promesse de personnalisation de l’apprentissage. Chacun son rythme, chacun ses appétences, grâce à l’IA on promet du sur-mesure. Rien n’indique que le manque de personnalisation faisait défaut aux dispositifs d’apprentissage. Cela va même à l’encontre de l’éducation qui est, selon moi, un projet collectif qui se réalise dans ce qui fait « commun » : un savoir commun, un apprentissage commun dans un lieu commun. Il y a un cadre collectif qui est nécessaire et qui me parait aller à l’encontre du « à la carte » sous-jacent avec l’IA. Cela va à l’encontre également de ce qu’on appelle la pédagogie différenciée qui suppose pour l’enseignant de distinguer des rythmes d’apprentissage dans une classe et d’adapter les enseignements par groupe d’élèves.

Du point de vue de l’éthique, quelles seraient les mesures à prendre pour une meilleure utilisation de l’IA ?

Des mesures éthiques, il y en a déjà beaucoup. Je pense à celles indiquées par l’UNESCO auxquelles je souscris. Je pense qu’il faut surtout repenser le modèle du numérique qui répond avant tout à des intérêts économiques basés sur la collecte et le traitement de datas (qui servent à bien d’autres choses que de faire de la pédagogie, par exemple des publicités personnalisées, des expérimentations de type « eye tracking », etc.) et sur la maximisation des connexions à des plateformes (fussent-elles pédagogiques), parce qu’une connexion finit toujours par se monétiser. Il faudrait davantage réfléchir à comment l’IA peut renforcer le collectif dans l’apprentissage, relier les apprenants ensemble, faire communauté plutôt que de voir l’IA comme un moyen de fragmenter les apprentissages pour soi-disant s’adapter à chacun de nos cerveaux.